Il nous est apparu que la participation des pays africains aux négociations commerciales internationales relève d’une perpétuelle quête de cohérence. Le constater n’est pas seulement l’accabler. Participer à la recherche de solutions techniques harmonieuses relève du sacerdoce. Toutes les forces vives y sont conviées. Sur le continent et au-delà. 2ACD ambitionne de jouer sa partition.
Membres à part entière de l’OMC et ayant l’habitude de participer aux négociations commerciales, les pays africains, pris individuellement, se démènent comme ils peuvent sur plusieurs fronts. Ayant l’ambition d’agréger leurs efforts pour une politique africaine commune suivant les différentes strates régionales, il ne leur apparait pas évident que la somme de leurs expériences individuelles puisse être capitalisée par la collectivité africaine unifiée. Le passage d’une logique individuelle d’appréhension des intérêts à une logique communautaire qui implique des concessions mutuelles et des arbitrages. Les pays africains devront élaborer des politiques commerciales pour s’ajuster aux règles internationales existantes, faire des offres commerciales différenciées en fonction des partenaires commerciaux en présence et se donner une chance d’intégration commerciale autocentrée. Mais ils partent avec des handicaps situationnels notables. Les pays africains, et les différentes régions africaines elles-mêmes, impliquées comme entités négociatrices, sont au cœur d’engagements commerciaux fortement enchevêtrés dont la cohérence n’est pas toujours garantie en amont et en aval du processus. Ces engagements peuvent être localisés principalement à cinq niveaux différents : Multilatéral (OMC), interrégional (APE), régional (Communautés Economiques Régionales), bilatéral (accords préférentiels) et national (politiques commerciales locales).
Le niveau national présente des difficultés spécifiques. L’expérience a montré que le processus de décision n’est pas toujours cohérent. Si au bout de la chaîne, il y a généralement les ministères du commerce et les délégations permanentes à Genève qui bouclent les positions de négociations et les défendent, les courroies de transmission ne sont pas souvent fluides. Une position de négociation commerciale est la synthèse de différents intérêts sectoriels au niveau national. Elle implique de la concertation, des arbitrages et un leadership. Elle peut concerner à la fois l’agriculture, l’industrie, l’économie, les finances et l’environnement. Un travail d’équilibre doit être fait avant que la position nationale ne soit transmise. Mais l’expérience a montré que ces intérêts sectoriels ne sont pas bien agrégés à cause d’un défaut de coordination des différents ministères compétents. Il s’y ajoute que le processus administratif de décision n’accorde pas une place privilégiée aux besoins exprimés par le secteur privé et la société civile. La proposition de négociation commerciale élaborée dans ces conditions a un destin bien singulier. Au mieux, elle est partielle et ne cristallise pas la quintessence des intérêts du pays. Au pire, elle est inexistante et ne sera jamais défendue à Genève ou dans les autres enceintes de négociations commerciales.
Suivant les tendances actuelles du commerce international, les Communautés Economiques Régionales (CER) ont vocation à être le point d’impulsion des politiques commerciales. Mais les structurations institutionnelles régionales ne sont pas pleinement rationnelles. La concomitance d’organisations régionales (UEMOA/CEDEAO en Afrique de l’ouest et CEMAC/CEEAC en Afrique centrale par exemple) s’explique par d’autres raisons que celles économiques ou strictement commerciales. Ces superpositions institutionnelles ont une conséquence logique qui est la duplication des politiques sectorielles régionales. Ces politiques commerciales peuvent s’inspirer entre elles, mais restent fatalement concurrentes. C’est un concours de compétences à la source de l’enchevêtrement des engagements commerciaux des différents pays membres. Au final, la majorité des pays africains qui aspirent à une intégration dans le système commercial international doivent prendre des obligations commerciales différenciées. Ils concèdent une souveraineté commerciale sans avoir la garantie de sa meilleure prise en charge au niveau régional.
Et pourtant, les régions africaines, approximativement armées pour l’application de leur propre politique commerciale, s’apprêtent à aller à l’assaut du monde. Un nouveau partenariat commercial est en négociation avec un partenaire bien armé, organisé en Union douanière, commercialement bien intégrée et disposant d’un agenda offensif censé lui ouvrir de nouveaux marchés. Il s’agit de l’Union Européenne (UE). Ce nouveau partenariat va déterminer le champ de libéralisation au niveau de chaque région et commettre des engagements qui vont au-delà de ce qu’elles ont connu jusqu’à présent. Il suppose une compatibilité parfaite avec les engagements ultérieurement pris à l’OMC, tant au niveau institutionnel que substantiel et exige une réciprocité de principe entre les deux partenaires. Mais le clou de ce nouveau partenariat est le principe de l’intégration régionale. Les régions africaines agissent comme vis-à-vis institutionnel de l’UE. Elles doivent parachever leur processus d’intégration en se dotant de politiques commerciales unifiées. Ce partenariat ne sera viable que si les offres commerciales des régions africaines sont suffisamment intégratrices, ce qui n’est le cas en ce moment. Les péripéties de la négociation et l’absence de politiques régionales qui intègrent les particularismes ont abouti à une situation inédite. Les régions censées s’intégrer fonctionnent presque partout suivant des régimes commerciaux différents vis-à-vis de l’Europe : les PMA sont sous le régime de l’Initiative Tout Sauf les Armes (TSA). Certains PMA d’Afrique de l’Est comme le Rwanda et le Burundi ont paraphé un APE censé plus avantageux que le TSA. Des pays en développement comme la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Cameroun sont sous le régime de leur APE individuel. Des pays en développement comme le Gabon et le Nigéria restent soumis au régime du Système Général de Préférences (SGP) après avoir refusé de signer des APE individuels. Et vogue la discorde !
Au niveau multilatéral, les pays africains sont engagés individuellement. Ils sont soumis aux principes fondamentaux du système, comme l’engagement unique. Ce qui amoindrit à priori leurs marges de négociations. Ils y disposent d’espaces standards de politiques commerciales. Ils y négocient l’accès à d’autres marchés tout en essayant de renforcer leurs mesures de défense commerciales. La participation des pays africains au système commercial a suivi deux tendances. D’abord, la plupart des engagements commerciaux auxquels ils ont souscrit ne résultent pas de stratégies commerciales volontaristes. C’est une souscription d’opportunité dictée par la tendance de la globalisation de l’économie. Ils n’y sont pas allés par conviction, mais plutôt pour ne pas être laissés en rade. La réflexion et l’évaluation des effets potentiels de ces engagements commerciaux sont venues par la suite. C’est le début d’une négociation à rebours. Ensuite, la vulnérabilité économique des pays africains les placent dans les catégories des PMA et des pays en voie de développement. Ils bénéficient donc d’un régime différencié de droits et d’obligations qui vient en complément du régime de droit commun. Ils n’en tirent pas toujours un meilleur profit.
Le niveau bilatéral suggère à priori moins de convulsions stratégiques en matière de politique commerciale. Il s’agit le plus souvent d’un contrat d’adhésion, sous forme d’une offre de préférences commerciales unilatérales, soumise à des conditionnalités extra-commerciales. Ramenées au niveau régional, ces préférences tracent des lignes de fracture entre PMA et pays en développement qui restent soumis à des offres différenciées qui n’intègrent pas le critère géographique et le besoin d’intégration proclamée.
Il apparait ainsi que chaque niveau de négociations commerciales recèle des exigences qui peuvent être différentes, alors qu’il implique les mêmes acteurs. La tâche est d’autant plus ardue pour les négociateurs que la multiplication des différentes enceintes présente l’exigence supplémentaire de la cohérence du fait de leur enchevêtrement juridique et économique. Chaque niveau est un élément d’un ensemble cohérent dont les règles différenciées s’adaptent aux contextes macro et micro économiques. Dès lors, le moteur essentiel du travail de 2ACD est de placer la cohérence au cœur des politiques commerciales africaines. L’Afrique se doit d’être cohérente avec elle-même et travailler à une cohérence d’ensemble avec les différents éléments du système. Chaque processus de négociation commerciale doit ouvrir une brèche sur les opportunités voisines nichées dans les différents niveaux susmentionnés, et éviter les contradictions internes. Tous les protagonistes devront y prendre part. Des gouvernements au monde académique, en passant par le secteur productif et la société civile. Il y va de la survie des générations futures. Et 2ACD entend y contribuer, au bénéfice des pays africains.
Bien cordialement.